portrait-2-interrogatoire

J’ai vu, monsieur Tyrell, votre excellent travail. C’est mieux qu’une enquête, c’est un voyage. Je me hâte de vous aider. Vous expliquez à tous ce que c’est que l’au-delà, ce fameux pont brisé qu’on a pris pour la négation de la vie et qui en est, au contraire, le complément. L’au-delà a mille ressources, aussi a-t-il mille secrets. Vous trahissez les secrets des esprits, qui ne s’en fâcheront pas. Venons-en à la question qui vous amène : que se passe-t-il ici ? Et bien, il y a là d’épaisses ténèbres, peu de lumières, des violences, des crimes, des superstitions sans nombre… Par ce soir d’octobre nous sommes liés, et tant que le voile n’aura pas été levé, nous continuerons à errer. Le 24 donc, c’était un lundi, non pas que ça ait une importance capitale, et j’avais remarqué que mon médecin le Dr Emile était indisposé par l’arrivée récente de son frère, un révolutionnaire un peu confus. Les deux étaient en froid, et cela semblait toucher l’un beaucoup plus que l’autre. Durant le dîner, Jules avait essayé plusieurs fois de détendre l’atmosphère, mais Emile s’était montré de marbre, ne rendant pas la soirée agréable, loin de là. Pour ma part, j’étais soucieux de l’état de santé de ma fille Adèle, qui se reposait dans sa chambre, et vu l’humeur du docteur, j’ai préféré attendre un meilleur moment pour me quérir de plus amples détails. 

Alors que je préparais le petit salon pour la séance du soir, j’ai entendu deux personnes se quereller, puis un silence inquiétant. J’ai accouru, et j’ai découvert Jules Allix immobile, comme hébété par son acte, une queue de billard en main et face à lui mon ami Auguste qui se tenait le visage. Pendant une dizaine de minutes, j’ai fait sortir Auguste pour qu’il se calme en respirant l’air marin. Il a refusé de m’expliquer la raison de leur dispute. Puis nous sommes retourné au petit salon. Il y avait une petite flaque sur la moquette, qu’Albert Pinson tentait de nettoyer paresseusement, d’une tasse de thé renversée par accident. Une fois la seconde tournée de thé préparée, nous avons débuté une fascinante conversation avec William Shakespeare. J’étais concentré sur le processus d’écoute de la table, alors je n’ai pas bien vu ce qui s’est passé … Toujours est-il que soudainement Jules s’est mis à hurler comme un possédé… je n’ai pas compris ce qu’il disait, on aurait dit qu’il était en train de s’étrangler avec sa salive, puis il est tombé de sa chaise. Sans hésiter, son frère s’est rué vers lui. Adèle, ma tendre épouse, lui a aussitôt apporté un linge mouillé. Dans la panique Delphine de Girardin a fait un malaise, et c’est Auguste qui s’est occupé d’elle… je ne sais pas ce qui s’est passé exactement, peut-être est-ce qu’un esprit a prit possession du corps de Jules ? Peut-être était-il déjà fragile psychologiquement ? Toujours est-il qu’après cet épisode, j’ai décidé d’être plus prudent dans cette pratique, car je me suis senti terriblement coupable de la santé mentale de M. Allix, qui ne s’est jamais complètement remis, même des années plus tard…