portrait-1-interrogatoire

C’est tellement rare que des vivants me posent des questions… Nos âmes ne sont pas en paix, non. Peut-être parce que nous avons trop souvent dérangés celles des autres lors de nos frasques nocturnes… Ce dont je me souviens du 24 octobre 1853 ? Laissez-moi me concentrer un peu. Il pleuvait. Je m’en souviens bien parce que toute la journée la pluie battait sur le carreau, et nous étions tous dans la maison de Marine Terrace, comme des lions en cage. C’était après le dîner, la nuit était tombée brutalement, et nous avions rendez-vous à neuf heures du soir précises pour une séance de spiritisme. Je suis descendu en avance, il devait être 8 heures 45, et j’ai croisé Jules Allix dans la Salle de Billard. Vous connaissez Jules je suppose ? Le frère du Dr Emile ? Vous devriez discuter avec lui si ce n’est pas déjà le cas, mais j’espère que vous avez de la patience. Enfin bref, je l’ai croisé et nous avons discuté politique. Je n’aurais pas dû, j’avais vu qu’il n’était pas dans son état normal. Il était… très pâle. Et moi… je n’étais pas d’une humeur excellente non plus. Pourquoi? Et bien ça me regarde. Bref, j’ai essayé de le faire admettre que sa tentative d’assassinat contre Napoléon était un acte d’une cruauté sans nom, même pour des raisons politiques. Il m’a frappé au visage avec une queue de billard. Victor est arrivé, il nous a séparé. Il m’a emmené faire un tour dehors, prendre l’air, malgré la pluie battante. Il a bien essayé de m’interroger, mais je n’avais pas le courage de répondre. Sans un mot, nous avons regardé la Manche s’agiter au loin. 

Puis on est rentré. On est allé dans le petit salon, c’est là que la table pour communiquer avec les esprits fonctionnait le mieux, tout le monde était déjà là et nous attendait, sauf la jeune Adèle, dont je n’ai pas osé questionner l’absence. On a commencé la séance au moment où l’horloge a sonné l’heure précise. Après environ un quart d’heure, au beau milieu d’une conversation avec l’esprit de Shakespeare, Jules Allix s’est effondré. Je n’ai aucune idée du pourquoi, ni du comment, mais son malaise n’avait rien à voir avec l’activité que nous menions. Je vais être clair : je pense que Jules a été empoisonné.